Conte culinaire de Fulvio Pierangelini Vol. 3

Rocco Forte Hotels

C’est au printemps que la mer est la plus belle, pour les couleurs et les émotions. C’est une mer un peu volée… aux mouettes, aux pêcheurs, aux maîtres-nageurs et aux amants.

On allait à la plage pour une promenade, une partie de foot ou pour le premier bain dans l’eau glacée, deux-trois plongeons et quelques blagues idiotes. Mais, le vrai but, le mirage, c’était la baraque blanche et rouge, parfois blanche et bleue, repeinte par le maître-nageur à chaque début de saison.
C’était tout à la fois notre bar, trattoria, jukebox, flipper, billard, et aussi le lieu pour lancer des œillades maladroites aux filles. Un établissement balnéaire parmi tant d’autres, aux noms identiques sur toutes les plages.

Quand on avait en poche un peu d’argent gagné avec un petit boulot, on s’offrait un déjeuner. En cuisine, toujours des femmes, des dames aux mains précieuses, détenant naturellement le geste, la beauté du geste.
On ne rêvait pas de poissons crus, ni d’improbables « catalanes ». La sainte trinité se composait de salade de fruits de mer, spaghetti aux palourdes et friture de poisson. Dans mon rituel païen, j’aurais pu renoncer à tout sauf à la vraie déesse : la friture, et tout particulièrement celle aux anchois, auxquels aujourd’hui encore je ne peux pas résister.

Frire, comme rôtir, c’est un métier dans le métier. Cela requiert compétence, connaissance et sensibilité. Il est préférable d’utiliser de l’huile d’olive extra-vierge. Pour contrôler la température de l’huile, il faut plonger un petit morceau dans la friture et surveiller le frémissement. Bien sûr, ce serait plus simple avec un thermomètre mais, moi, je n’ai pas envie de l’utiliser.

Les règles de base ?

La température de l’huile doit être inversement proportionnelle aux dimensions du morceau à frire. On peut soit le fariner, après l’avoir bien séché, soit l’enrober de pâte à frire. La pâte doit être sans sel et si possible froide afin de créer un choc thermique.

Il faut utiliser une poêle en fer noir, et ne jamais la laver. Pourquoi ? Ça, tout le monde le sait. Enfin, tout le monde devrait le savoir. Surtout les jeunes cuisiniers auxquels je n’arrive pas à enseigner les certitudes qu’ils voudraient s’entendre dire.
Alors, j’utilise cette phrase lue je ne me souviens plus très bien où : « Le plus grand des maîtres n’a pas de disciples, il suggère des hypothèses. » Dans ce sens-là, oui, je leur ai souvent indiqué une voie possible, un chemin escarpé, hors des sentiers battus, déconnecté, laborieux et difficile à suivre, sans aboutissement précis et confortable. Quant à moi, même si j’entrevoyais la cime, ça ne m’intéresserait certainement pas d’y planter un drapeau pour sceller la conquête, je chercherais immédiatement une nouvelle direction, un au-delà. Je voudrais dire aux jeunes que cuisiner est un devoir social, que cuisiner, c’est sacrifier un être vivant, que ce soit une carotte ou une langouste, et que donc, la vertu principale du cuisinier doit être le respect.

Sur ce, retournons dans notre baraque sur la plage. Dehors les mouettes s’essaient à de nouvelles trajectoires à offrir en spectacle aux baigneurs durant l’été. Et nous, on se remet en cuisine pour préparer un des must de la mer, le poulpe. Un beau poulpe bien frais, avec deux rangées de ventouses sur les tentacules, pas un petit poulpe musqué ni une grande pieuvre rouge tachetée de blanc, belle à regarder, élégante, sinueuse quand elle nage avec ses longues jambes, mais dont la chair est trop ferme, pratiquement immangeable. Comment nettoyer un poulpe?

On retourne la tête comme un gant pour la vider des organes internes. Puis on la retourne à nouveau pour en éplucher fastidieusement la peau. On retire le bec dur au sommet des tentacules. Ensuite, on met le poulpe à cuire dans l’eau bouillante et peu salée, après l’avoir plongé à trois reprises, pour qu’il prenne la forme d’une fleur. Au choix, on peut ajouter des piments, du céleri, des carottes, des herbes. Certains, après cuisson, l’enfilent dans une bouteille en plastique et le découpent en fines tranches qu’ils appellent carpaccio (que Dieu nous préserve des nouveaux carpaccios !).

Quant à moi, j’aime le faire mijoter dans un poêlon avec un peu d’huile, de l’ail et du piment. De cette façon, « le poulpe cuit dans sa propre eau », comme dit la chanson (dans ce cas-là, ne jamais le saler, seulement à la fin si nécessaire).
Pas besoin de frapper le poulpe de toutes ses forces pendant des heures sur les rochers pour l’attendrir, ni de mettre des bouchons en liège dans l’eau comme le veut la légende. Il suffit de le faire reposer une nuit au congélateur pour assouplir sa chair.

Retournons aux fourneaux. Pendant que le poulpe mijote, vous aurez mis à cuire au four de petites pommes de terre parsemées de sel et d’herbes. Une fois cuit, on coupe le poulpe en petits morceaux, on l’assaisonne avec du persil haché, quelques gouttes de citron, beaucoup d’huile d’olive. Quand les pommes de terre sont prêtes, on les découpe en morceaux et on les pare de feuilles et de fleurs de thym. On mélange le tout, avec quelques flocons de sel marin si nécessaire.
Les jeunes filles blasées pourront faire nettoyer le poulpe à leur vendeur de poisson préféré, puis le jeter dans une cocotte-minute avec de l’huile, de l’ail, des pommes de terre coupées en dés et des herbes. Juste le temps de se refaire une beauté, et le poulpe sera prêt à servir.


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